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Date de création : 15.09.2015
Dernière mise à jour : 13.03.2025
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La musique après Wagner

Publié le 11/01/2017 à 16:00 par dansleretro Tags : homme chez musique art air

Avant Wagner, la musique se mouvait dans des limites généralement étroites. Elle s'appliquait à des états permanents de l'homme, à ce que les Grecs appelaient éthos; ce n'est qu'avec Beethoven qu'elle avait commencé à essayer le langage du pathos, c'est-à-dire de la volonté passionnée, des phénomènes dramatiques qui se succèdent dans le cœur de l'homme. Précédemment, c'était un état d'âme, une disposition particulière, soit au calme, soit à la gaîté, soit au recueillement, soit au repentir qui devaient être exprimés par les sons; à l'aide d'un certain accord dans la forme et de la durée de cet accord, on voulait frapper l'auditeur, le contraindre à interpréter la signification de cette musique, et enfin le placer dans un état d'âme semblable. Pour représenter toutes ces dispositions et ces états d'âme, certaines formes particulières étaient nécessaires; d'autres furent introduites par la convention. Quant à la longueur des compositions, elle fut fixée par la prudence du musicien, qui voulait bien faire naître certains sentiments chez son auditeur, mais non le fatiguer par la durée prolongée de cette sensation. On fit un pas de plus lorsqu'on esquissa successivement les images de sentiments opposés et qu'on découvrit le charme des contrastes; on fit un autre pas en avant en réunissant dans le même morceau le contraire de l'éthos, opposant, par exemple, l'un à l'autre un thème masculin et un thème féminin. Mais ce ne sont là que des stades encore grossiers et primitifs de la musique. La peur de la passion dictait une partie de ces règles, la peur de l'ennui faisait naître les autres. Toute recherche dans le sentiment, tous les excès étaient considérés comme «contraires aux règles de l'éthique». Mais, après que l'art de l'éthos eut représenté ces dispositions et ces états d'âme habituels dans des répliques innombrables et toujours pareilles, il tomba dans une sorte d'épuisement, malgré la merveilleuse imagination de ses maîtres. Beethoven, le premier, fit parler à la musique un langage nouveau, interdit jusque-là, le langage de la passion. Mais son art étant sorti des lois et des conventions de l'art tel que l'avait créé l'éthos, il fut en quelque sorte obligé de tenter une justification vis-à-vis de celui-ci. C'est pourquoi son développement artistique conserva des traces des difficultés particulières qu'il rencontra et il résulta de ce fait une singulière confusion. Une action dramatique intime—et toute passion se développe sous une forme dramatique—cherchait péniblement à revêtir un aspect nouveau, mais le plan rationnel de la musique de sentiment s'y opposait et prenait presque l'air et le ton de la moralité offensée vis-à-vis d'une innovation immorale. Il semble parfois que Beethoven se soit imposé la tâche si pleine de contradictions de faire parler le pathos avec les seules ressources de l'éthos. Mais cette supposition ne suffirait pas à expliquer les dernières œuvres de Beethoven, les plus considérables. Et véritablement, pour décrire la grande courbe de la passion, il trouva un moyen nouveau; il choisit sur l'ensemble du tracé certains points déterminés qu'il accentua avec une minutieuse précision, de telle sorte qu'ils puissent servir de points de repère à l'auditeur, pour deviner la direction générale de la ligne. A première vue, cette nouvelle forme faisait l'effet d'un assemblage de plusieurs pièces de musique, dont chacune, prise isolément, représentait, en apparence, un état d'âme constant, mais qui n'était, en réalité, qu'un moment passager dans le cours dramatique de la passion. L'auditeur pouvait s'imaginer qu'il n'entendait que d'ancienne musique, exprimant des états d'âme, avec la seule différence que le rapport entre les diverses parties constituantes était devenu pour lui incompréhensible, et ne pouvait plus s'exprimer que par la loi des contrastes.